[QUESTION] Quels souvenirs conservez-vous du Tournoi 1959 ?[REPONSE] Très peu des matches euxmêmes ; pour ça, vois François Moncla qui peut te les raconter dans le moindre détail. Nous avions fait de bonnes choses et un match quasi parfait contre le Pays de Galles après un nul à Twickenham. Je me souviens que, dans le bus qui nous ramenait à Londres, régnait une ambiance de mort ; les dirigeants faisaient la gueule parce que nous n'avions pas gagné. Je me suis foutu en rogne : «Hé, les gars, combien d'équipes de France ont fait le nul à Twickenham ? On ne peut pas toujours gagner, n'est-ce pas ?» Et la bonne humeur est revenue.
Nous aurions dû remporter le dernier match en Irlande mais j'ai été mauvais. Nous avions le Tournoi en poche, j'ai démissionné de mon rôle de leader, je n'ai pas aboyé, j'ai laissé faire et Vigier me l'a reproché.
L'équipe avait été sensiblement modifiée parce que les Lourdais n'étaient pas venus : je crois que leur président, en perspective du championnat, ne les avait pas libérés...
[QUESTION] Comment avez-vous célébré cette première place ?[REPONSE] Nous étions contents, sans plus. Pour nous, l'important n'était pas de remporter le Tournoi mais de se retrouver chaque fois pour disputer un match, tu saisis la nuance ? C'était la belle vie, c'était fabuleux. Nous étions des ruraux, des pauvres, et nous descendions dans des palaces, nous déjeunions dans des plateaux d'argent, nous voyagions dans des trains de luxe avec la lumière.
Sur le terrain, rien ne pouvait nous arriver car nous étions persuadés d'être les meilleurs. Notre plaisir était d'être supérieurs dans la confrontation du jour.
Notre performance n'est devenue importante qu'a posteriori, à cause du regard des autres. La France se construisait, le général de Gaulle arrivait et les footballeurs avaient obtenu la troisième place au Mondial. Quand nous avions gagné en Afrique du sud l'été précédent, nous avions fait sensation, sauf en France. Notre victoire n'a pris de l'ampleur qu'à la sortie, huit mois après, d'un bouquin de Potter et Duthen intitulé «The rise of french rugby». Nous, on savait qu'on était bons. Nous avons attaqué le Tournoi-59 normalement, remporté des matches normalement et nous sommes rentrés normalement dans nos foyers. Pour fêter l'événement, on nous a offert une montre.
[QUESTION] Voulez-vous nous parler de vos équipiers ?[REPONSE] D'aucun en particulier, je les aimais tous. Nous étions des complices. Avec ceux de l'Afrique du sud-58, j'aurais traversé l'Amazonie à pied. Avec d'autres, j'aurais préféré me jeter d'entrée aux crocodiles.[QUESTION] Quelle sorte de joueur étiez-vous ?[REPONSE] Avec mes 187-centimètres et 95-kilos, «j'ai eu été» athlétique mais j'ai maintenu après ma retraite sportive l'alimentation très calorique du rugby...
Nous formions avec Momméjat une deuxième ligne complémentaire : un mince qui sautait très haut et l'autre, un peu lourdaud, deuxième ligne de jadis ou de fin de génération, qui assurait l'environnement. Plus jeune, j'étais plus gaillard.
J'avais quand même fait un match de sélection à Narbonne, contre Danos et Martine, à l'arrière ; j'ai été ouvreur à l'Ecole Normale, troisième ligne en club.
Je me flatte surtout d'avoir fait un cadrage-débordement au grand Gareth Edwards : c'était au centre commercial de Cardiff où il a été statufié...
[QUESTION] Quel fut votre rôle en tant que capitaine ?[REPONSE] J'ai voulu que le jeu appartienne aux joueurs car ce n'était pas le cas. Une communauté s'est alors formée, soudée par la victoire. Jusqu'en 50, on vivait sur le passé, sur des mythes tels qu'en célébrait le Catalan Albert Bausil. Il s'agissait de faire joli, pas de vaincre. Le XV de France était une sélection, pas une équipe. Or, les mêmes joueurs qui subissaient des défaites sont devenus des vainqueurs. Le rugby n'est pas qu'affaire de muscle mais aussi d'esprit ; il faut une force de l'esprit pour passer de la chrysalide au papillon et le travail psychologique du capitaine est important. Je préparais les avants, je ne m'occupais pas de derrière.
Pour que le jeu appartienne aux joueurs, j'ai envoyé bouler du monde. Dans le milieu pro, on parle forcément autrement.
Je gênais et les dirigeants, excepté Jauréguy et Crabos, ont été contents que j'arrête après le Tournoi-59. Si Saulnier avait la classe, les autres avaient une revanche à prendre sur la vie.
Par exemple, la ville de Paris m'a décerné sa médaille d'or et quelqu'un est allé la chercher à ma place...
Psychologiquement, j'étais pompé. Je n'ai pas su maîtriser le phénomène de la télévision : il fallait faire attention à ce que tout le monde pase à l'image, à ne froisser aucune susceptibilité et ce n'était pas de la tarte.
J'avais 29-ans. Le rugby n'était pas l'essentiel de la vie mais un plus, une romance.
Avec l'arrivée de la télé notamment, les temps ont ensuite changé très vite.
[NOTE] ______ (1) «Le grand combat du XV de France» et «La mêlée fantastique», de Denis Lalanne ; La Table Ronde.
[NOTE] ______ (1) «Le grand combat du XV de France» et «La mêlée fantastique», de Denis Lalanne ; La Table Ronde.