[…] Être écrivain et professeur, dans un pays souffrant d'une telle pauvreté et comptant 50 % d'analphabètes, ça veut dire quoi ?
Être écrivain, c'est d'abord de l'ordre de la nécessité. Même sans lecteurs à côté de moi, je continuerai à écrire. Pour mon métier de professeur, je pense que c'est extrêmement important d'apporter le savoir aux catégories sociales qui ont été privées de toute une partie du patrimoine culturel haïtien. Haïti, c'est une grande littérature, qui a 200 ans, c'est aussi une pensée théorique haïtienne, qui naît au XIXe siècle. La première réponse à l'essai sur « l'Inégalité des Races humaines » de Gobineau a été écrite par un Haïtien, qu'on enseigne maintenant dans les universités françaises et américaines comme l'un des premiers anthropologues digne de ce nom. Mais le problème, c'est que ce pays n'arrive pas à transmettre ce qu'il sait de lui-même. Donc il est important qu'il y ait des professeurs parce que même pour rompre et produire du nouveau, il faut des repères. Il faut que les jeunes Haïtiens sachent qu'ils ne sont pas seuls. Qu'ils ne commencent pas le monde, qu'il y a quelque chose qui les précède. Il faut absolument que la jeunesse haïtienne prenne possession du savoir haïtien.
16. 000 militaires étrangers sur votre territoire : l'indépendance d'Haïti aujourd'hui ?
Haïti, c'est un pays de résistance, mais en même temps, c'est un pays qui a perdu de manière officielle une partie de sa souveraineté puisque c'est une forme d'occupation « molle » cette assistance des Nations Unies qui ne produit ni bonheur ni stabilité. On vit une impasse. La littérature haïtienne d'aujourd'hui se pose cette question-là : que va-t-on faire de nous-même ? Malheureusement les écrivains se posent plus la question que les politiques. C'est ça l'impasse.